Joël de Rosnay : Biomimétisme et bionomie, deux concepts importants pour la culture systémique des entreprises modernes
Deux mots prennent une importance de plus en plus importante dans la culture biologique de notre époque, ce sont les mots : biomimétisme et, comme je le propose, bionomie.
Il y existe une relation étroite entre le biomimétisme et l’écologie. Ils sont directement reliés. L’écologie met en œuvre et applique le biomimétisme. Dans l’agriculture l’homme copie la nature, c’est une forme de biomimétisme. Mais il faut aller au-delà avec ce que j’appelle la bionomie.
Tout comme l’économie et l’écologie représentent deux faces d’une même médaille, la biologie est complémentaire de la bionomie. Économie et écologie viennent de oikos, qui signifie la maison en grec, et de nomos qui veut dire la règle. Oikos nomos ou économie, voilà donc « la règle de gestion de notre maison commune, la Terre ». Le mot écologie est donc composé de oikos, la maison, mais aussi de logos, la science. Oikos logos ou « la science de la gestion de notre maison terrestre ». Comme on le sait, la biologie est la science du vivant. M’inspirant de son étymologie, bios (vie) et logos (science), je propose de baptiser « bionomie » (bios nomos) le management du vivant. Bionomie désignerait donc « la règle de gestion de la vie dans la biosphère » et, par extension, de son corps, de sa propre vie et du vivant en général.
Le biomimétisme entre aussi dans la catégorie des modèles biologiques qui se prêtent bien à la simulation sur ordinateur. On peut aujourd’hui réaliser la simulation de systèmes complexes en utilisant le biomimétisme. Les systèmes complexes sont faits d’éléments en interdépendances et reliée en réseau. La biologie, l’économie, l’écologie étudient des systèmes complexes. Aujourd’hui avec de puissants ordinateurs on peut simuler la complexité dynamique de ces systèmes. Ce qui apporte des solutions extrêmement intéressantes aux problèmes que se posent les chercheurs sur l’évolution et le comportement de ses systèmes.
Aujourd’hui la biologie analytique évolue vers la biologie systémique. En effet, la biologie a été longtemps dominée par l’analyse. C’est-à-dire la réduction de la complexité en éléments simples, créant la difficulté de les recombiner entre eux pour reconstruire la dynamique du vivant et les propriétés émergentes résultant d’une telle dynamique. Aujourd’hui, grâce notamment au numérique et à la simulation, les interdépendances apparaissent plus clairement et donnent naissance à ce que l’on appelle la « biologie systémique » qui est une conception globale de la biologie tenant compte des interactions, des interdépendances et de la dynamique des évolutions.
Le biomimétisme pourrait influencer nos modèles d’entreprises. En particulier sur les points suivants : évolution, structure pyramidale ou décentralisée, complexité et interdépendances. Il existe aujourd’hui une tendance systémique intéressante qui cherche à assimiler l’entreprise à une cellule vivante ou un corps fonctionnel. De plus en plus de planificateurs d’entreprise s’appuient sur un modèle biologique pour définir les fonctions ou les structures des entreprises modernes. La réflexion sur le pouvoir transversal ou horizontal s’inspire de cette vision biologique plutôt que la vision mécanique traditionnelle de la pyramide qui a primée pendant si longtemps dans la conception hiérarchique de l’entreprise.
Le biomimétisme consiste autant à copier le vivant qu’à s’inspirer du vivant. Par exemple : on copie les qualités de la peau du dauphin pour améliorer la glisse des embarcations dans des compétitions de kayak et d’aviron ; de la peau des requins pour empêcher l’adhésion des bactéries, on s’inspire des libellules pour produire des robots-insectes, ou encore des phéromones (molécules de reconnaissance et de communication des insectes sociaux) pour le transport de paquets dans les réseaux physiques de distribution postale.
On ne peut mieux illustrer le biomimétisme que par le projet Biosphère 2 qui se poursuit aux Etats-Unis dans le désert de l’Arizona. Un projet américain de construction – dans des bulles transparentes, permettant la photosynthèse à partir du soleil – d’écosystèmes vivants dans lesquelles l’homme pourrait même trouver sa place.(https://lejournal.cnrs.fr/articles/en-arizona-une-mini-terre-sous-cloche
Autre approche du biomimétisme : il existe une importante relation dans le domaine médical entre les biomatériaux et le biomimétisme. Prenons un exemple : celui de la chitine, matériau de base de la carapace des crustacés et des insectes, probablement un des biomatériaux les plus répandus dans le monde. On essaye aujourd’hui de copier la chitine pour l’améliorer ou la modifier dans des applications médicales très nombreuses, notamment pour des pansements qui favorisent la cicatrisation.
Autres exemple de biomimétisme : Le design et l’auto-construction de structures complexes. La célèbre chercheuse américano-israélienne, Neri Oxman du MIT, (Massachusetts Institute of Technology) oppose le design et l’auto-construction, à l’assemblage et donne comme exemple la construction d’une géode en soie par des vers à soie : (https://www.ted.com/speakers/neri_oxman?language=fr ). On ne peut rêver d’une meilleure illustration de l’importance du biomimétisme en regardant cette très belle intervention de Neri Oxman.
Grâce à l’approche systémique et à la simulation, le biomimétisme peut servir de modèle aux entreprises, assimilables à une cellule vivante ou un corps vivant complet. Aujourd’hui les entreprises plates-formes comme celles que l’on qualifie de GAFA, utilisent une approche systémique et biomimétique pour concevoir des structures d’entreprise fondées sur un pouvoir latéral et transversal, plutôt que vertical. Nombreux sont ceux dans ces entreprises qui se réfèrent à l’approche biologique pour mettre en œuvre des structures humaines et techniques plus efficaces.
Les sociétés d’insectes, abeilles, fourmis, termites, peuvent servir de modèles biomimétiques à des entreprises. Ce qui est le cas, par exemple pour DHL, entreprise d’acheminement et de livraison de paquets postaux.
Voici pourquoi et comment. On sait que les insectes, notamment les fourmis, ou les termites communiquent par l’intermédiaire d’hormones chimiques que l’on appelle des phéromones. Ces signaux moléculaires captés par les antennes de ces insectes, leur permettent de se reconnaître, et de trouver leur chemin dans des environnements écosystémiques complexes. Des grandes entreprises comme DHL, se sont se sont inspirées de ces modes d’échange et de communication pour créer des réseaux favorisant et optimisant les transferts de paquets par la poste. Ils utilisent pour cela des sortes de « phéromones numériques » échangées dans l’écosystème digital. Ce qui constitue, en ce cas, une bonne illustration du bio mimétisme pour des applications industrielles.
Par Joël de Rosnay