SPÉCIAL MAIRIE EN GRÈVE !
Suite à la fermeture de la Mairie de Paris en “solidarité” à la grève, quelques pistes de réflexions ont été mises en avant par notre associée pénaliste, Karine Perotin :
1°) L’administration ne peut pas légalement soutenir une grève en apportant une aide financière aux grévistes ou en fermant les services publics.
Le recours à ces deux procédés est jugé illégal.
Le conseil municipal d’une commune ne doit pas intervenir dans un conflit collectif du travail en apportant un soutien financier aux grévistes (CE 124674 du 28.07.1993)
Selon la jurisprudence, une subvention ayant une visée nationale méconnaît le champ d’intervention d’une commune, limitée aux questions d’intérêt local. Est ainsi irrégulière une subvention à une fédération nationale d’instituteurs destinée à lui permettre d’intenter des procès sur l’ensemble du territoire (CE 2 août 1912, Flornoy, Lebon 918), ou l’octroi d’un soutien financier à l’une des parties à un conflit collectif du travail (CE 20 nov. 1985, Commune d’Aigues-Mortes).
- En résumé, une subvention à but politique de soutien à une cause nationale est ainsi illégale contrairement à une subvention ayant une visée sociale et locale.
2°) La fermeture des services communaux motivée par la volonté de soutenir les agents grévistes à l’occasion d’une journée de mobilisation organisée dans le cadre d’un mouvement de grève national est illégale.
Les décisions d’un maire et d’un président d’une communauté urbaine de fermer les services dans le but de défendre la fonction publique et le service public sont prises pour un motif étranger à l’intérêt de la commune et de la communauté urbaine ou au bon fonctionnement
des services et sont donc illégales (CE 250294 du 23.06.2004)
3°) Le droit de grève ne fait pas obstacle au principe selon lequel l’absence de service donne lieu à une retenue sur rémunération.
Le fondement légal à la retenue pour fait de grève tire les conséquences des articles 20 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 et 87 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 qui lient le droit à rémunération à l’accomplissement du service.
Le Conseil constitutionnel rappelle que cette retenue s’inscrit dans le champ de la réglementation de la comptabilité publique relative à la liquidation du traitement et qu’elle est indépendante de l’action disciplinaire (Conseil constitutionnel 77-83 DC du 20.07.1977)
La retenue sur traitement n’a pas non plus le caractère d’une pénalité financière.
4°) L’autorité administrative n’a aucun pouvoir d’appréciation de l’opportunité d’opérer la retenue pour absence de service fait. Elle se trouve en situation de compétence liée ( Réponse ministérielle publiée au JO du 17.11.2003 / Question écrite 23433 et CAA Nantes 00NT00744 du 19.02.2004)
Ainsi, il n’est pas permis de considérer les jours de grève comme des jours de congé ou des jours relevant de l’aménagement et de la réduction du temps de travail. Il ne peut pas y avoir une compensation des jours de grève par l’octroi de jours de congé (Circulaire ministérielle (fonction publique, réforme de l’Etat et aménagement du territoire) FPPA0300123C du 30.07.2003 / publiée au du JO du 05.08.2003 et Réponse ministérielle publiée au JO du 17.11.2003 / Question écrite 23433)
De même, la récupération postérieure des journées de grève par des heures supplémentaires est interdite (CE 76.767 et 76.768 du 23.03.1973)
5°) Les qualifications pénales qui pourraient être envisagées :
L’abus d’autorité dirigé contre l’administration
Article 432-1 du code pénal (Modifié par Ordonnance n°2000-916 du 19 septembre 2000 – art. 3 (V) JORF 22 septembre 2000 en vigueur le 1er janvier 2002)
Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique, agissant dans l’exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec à l’exécution de la loi est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
Article 432-2 du code pénal (Modifié par Ordonnance n°2000-916 du 19 septembre 2000 – art. 3 (V) JORF 22 septembre 2000 en vigueur le 1er janvier 2002)
L’infraction prévue à l’article 432-1 est punie de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende si elle a été suivie d’effet.
Article 432-17 (Modifié par LOI n°2017-1339 du 15 septembre 2017 – art. 1)
Dans les cas prévus par le présent chapitre, peuvent être prononcées, à titre complémentaire, les peines suivantes :
1° L’interdiction des droits civils, civiques et de famille, suivant les modalités prévues aux articles 131-26 et 131-26-1 ;
2° L’interdiction, suivant les modalités prévues par l’article 131-27, soit d’exercer une fonction publique ou d’exercer l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise, soit, pour les infractions prévues par le second alinéa de l’article432-4 et les articles 432-11, 432-15 et 432-16, d’exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d’administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d’autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale. Ces interdictions d’exercice peuvent être prononcées cumulativement ;
3° La confiscation, suivant les modalités prévues par l’article 131-21, des sommes ou objets irrégulièrement reçus par l’auteur de l’infraction, à l’exception des objets susceptibles de restitution ;
4° Dans les cas prévus aux articles 432-7, 432-10, 432-11 et 432-12 à 432-16, l’affichage ou la diffusion de la décision prononcée, dans les conditions prévues par l’article 131-35.
L’acte doit pouvoir être qualifié de « mesure » et constituer donc une manifestation positive (Cass. crim. 19 février 2003) d’autorité abusive émanant d’une personne détentrice de l’autorité suffisante dans ses fonctions pour imposer cette mesure d’échec à la loi ; une simple proposition de prise d’un acte par un tiers pourrait, le cas échéant, – si elle était faite de manière délibérée pour inciter une autorité à prendre la mesure incriminée – permettre la qualification de complice par fourniture de moyens, certainement pas celle d’auteur principal,
L’acte doit être délibéré ; il faut donc que l’auteur de l’acte ait la conscience de ce que l’acte qu’il accomplit fait échec à la loi et empêche sa mise en œuvre ; à défaut de cette volonté de faire produire un effet illégal, aucune infraction ne devrait pouvoir être retenue.
L’acte doit être de nature à empêcher l’exécution de la loi. L’abus d’autorité ne peut se confondre à avec la simple illégalité. Même si le débat ne semble pas avoir été ouvert clairement en jurisprudence, l’infraction pour être commise exige plus qu’un simple acte illégal. Il faut que cet acte paralyse l’exécution d’une loi. Mais le moins qu’on puisse dire est que le code pénal ne trace pas de manière claire la ligne de partage.
- C’est cette qualification à laquelle il est fait référence dans l’article du JDD.
La prise illégale d’intérêts
Article 432-12 (Modifié par LOI n°2021-1729 du 22 décembre 2021 – art. 15)
Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 500 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction.
Toutefois, dans les communes comptant 3 500 habitants au plus, les maires, adjoints ou conseillers municipaux délégués ou agissant en remplacement du maire peuvent chacun traiter avec la commune dont ils sont élus pour le transfert de biens mobiliers ou immobiliers ou la fourniture de services dans la limite d’un montant annuel fixé à 16 000 euros.
En outre, dans ces communes, les maires, adjoints ou conseillers municipaux délégués ou agissant en remplacement du maire peuvent acquérir une parcelle d’un lotissement communal pour y édifier leur habitation personnelle ou conclure des baux d’habitation avec la commune pour leur propre logement. Ces actes doivent être autorisés, après estimation des biens concernés par le service des domaines, par une délibération motivée du conseil municipal.
Dans les mêmes communes, les mêmes élus peuvent acquérir un bien appartenant à la commune pour la création ou le développement de leur activité professionnelle. Le prix ne peut être inférieur à l’évaluation du service des domaines. L’acte doit être autorisé, quelle que soit la valeur des biens concernés, par une délibération motivée du conseil municipal.
Pour l’application des trois alinéas qui précèdent, la commune est représentée dans les conditions prévues par l’article L. 2122-26 du code général des collectivités territoriales et le maire, l’adjoint ou le conseiller municipal intéressé doit s’abstenir de participer à la délibération du conseil municipal relative à la conclusion ou à l’approbation du contrat. En outre, par dérogation au deuxième alinéa de l’article L. 2121-18du code général des collectivités territoriales, le conseil municipal ne peut décider de se réunir à huis clos.
D’une manière générale, pour que le délit de prise illégale d’intérêt soit constitué deux conditions doivent être remplies :
- l’élu doit avoir au moment de l’acte, la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement de l’affaire dans laquelle il a pris intérêt. (La surveillance comprend des attributions telles que les missions de préparation, de proposition, de présentation de rapports ou d’avis en vue de la prise de décisions par d’autres personnes).
- l’élu concerné doit avoir pris, obtenu ou conservé un intérêt dans l’opération considérée. (La notion d’intérêt est vaste : il peut être constitué par la perception directe ou indirecte de bénéfices, ou d’avantages pécuniaires ou matériels. Mais l’intérêt peut aussi être d’ordre politique, moral ou affectif. L’opération peut être l’attribution de travaux, un marché, une mission avec rémunération, une vente, une location, un contrat de fourniture…)
- Cette seconde qualification pourrait également être envisagée dès lors que le maintien des salaires des fonctionnaires grévistes aurait pour conséquence de permettre à l’élu de conforter son image à l’aune des élections à intervenir.
Nicolas DURAND-GASSELIN
Avocat
Associé Gérant